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Par EOGA le 2 Mars 2017 à 16:05
ΑΝΑΣΤΑΣΙΣ : RESURRECTION
Amateurs de grec classique et/ou néotestamentaire, auriez-vous cru qu’un rapprochement était
envisageable entre, d’une part, la tragédie grecque, plus précisément la pièce d’Eschyle intitulée
« Les Euménides » (458 av. J-C), et, d’autre part, le fameux discours prononcé par Paul de Tarse, dit
Saint-Paul, apôtre de Jésus-Christ, sur la colline de l’Aréopage d’Athènes, tel que le rapporte le 17ème chapitre des Actes des Apôtres (80-90 de notre ère) ?
Esquissons d’abord un bref rappel de l’intrigue de la pièce d’Eschyle :
Après une longue errance, Oreste, poursuivi par les Érinyes, très antiques divinités, filles de la
Nuit, dont la vocation est de pourchasser sans relâche les meurtriers, parvient au sanctuaire
d'Apollon à Delphes pour se purifier de son crime (un oracle dicté par Zeus à Apollon a en effet
poussé Oreste à assassiner sa mère Clytemnestre, elle-même coupable du meurtre de son époux
Agamemnon). Mais les Érinyes ne cessent pas pour autant de le harceler. Apollon tente d'intercéder
en faveur d’Oreste mais, très vite, il s'emporte contre les Érinyes et l'entretien tourne court. Apollon
conseille alors à Oreste de se présenter au temple de la déesse Pallas Athéna, à Athènes.
Celle-ci obtient que les Érinyes lui confient l'affaire. Elle instaure un tribunal (l'Aréopage) pour
juger Oreste et annonce qu'en cas d'égalité des voix du jury de part et d’autre, elle lui offrira son
propre suffrage. Le tribunal athénien donne sa sentence. Le nombre de voix est effectivement
identique des deux côtés, mais en vertu de la règle proclamée par la déesse, Oreste est acquitté.
Athéna parvient toutefois à apaiser la colère des Érinyes déboutées, en les instituant « Semnai », les
« Vénérables », et « Euménides », déesses « Bienveillantes » d'Athènes. La malédiction qui pesait sur
les Atrides (les descendants d’Atrée, dont Oreste fait partie) est ainsi levée.
La notion de vengeance, typique des temps de barbarie, est donc remplacée par celle, plus
civilisée, de justice civique. Les Érinyes abandonnent leur fureur, qui n'a plus de raison d'être, la loi
du talion ayant fait place à une justice plus sereine dictée par la raison.
C’est dans ce contexte juridique précis qu’Eschyle, aux vers 647 à 649 de sa pièce, fait prononcer
à Apollon, défenseur de l’accusé, un principe qui nie clairement la possibilité d’une « anastasis »,
d’un « relèvement » ou « résurrection », alors que vient d’être évoquée par le dieu la mort violente
d’Agamemnon, père d’Oreste :
« Ἄνδρὸς δ' ἐπειδἁν αἷμ' ἀνασπάσῃ κόνις
ἃπαξ θανόντος, οὔτις ἐστ' ἀνάστασις.
Τούτων ἐπῳδὰς οὐκ ἐποίησεν πατὴρ
oὑμός ...
Mais lorsque la poussière a bu le sang d’un homme,
S’il est mort, il n’est plus pour lui de résurrection
Mon père (Zeus) contre ce mal n’a point créé de charmes … »
(Trad. Mazon coll. Belles Lettres)
Ces vers font donc clairement apparaître le caractère irréversible de la mort des humains, contre
lequel le souverain divin, Zeus, père d’Apollon, n’a lui-même aucun remède possible, aucune ἐπῳδή
incantation, charme ou formule magique.
Or, plusieurs siècles plus tard, sur cette même colline de l’Aréopage (et ce n’est certainement
pas un hasard !), que vient donc annoncer Paul de Tarse, dans le cadre de ses discussions avec les
philosophes épicuriens et stoïciens ?
Examinons de plus près le texte d’Actes 17 :
Τινὲς δὲ καὶ τῶν Ἐπικουρείων καὶ Στοικῶν φιλοσόφων συνέβαλλον αὐτῷ καὶ τινες ἔλεγον Τί ἂν
θέλοι ὁ σπερμολόγος οὗτος λέγειν; οἱ δὲ Ξένων δαιμονίων δοκεῖ καταγγελεὺς εἶναι ὅτι τὸν Ἰησοῦν
καὶ τὴν ἀνάστασιν εὐηγγελιζέτο. Έπιλαβόμενοι τε αὐτοῦ ἐπὶ τὸν Ἄρειον Πάγον ἤγαγον λέγοντες
Δυνάνεθα γνῶναι τίς ἡ καινὴ αὕτη ἡ ὑπὸ σοῦ λαλουμένη διδαχή; ξενίζοντα γάρ τινα εἰσφέρεις εἰς
τὰς ἀκοὰς ἡμῶν. Βουλόμεθα οὖν γνῶναι τίνα θέλει ταῦτα εἶναι (…) Τοὺς μέν οὖν χρόνους τῆς
ἀγνοίας ὑπεριδὼν ὁ θεὸς τὰ νῦν παραγγέλλει τοῖς ἀνθρώποις πάντας πανταχοῦ μετανοεῖν, καθότι
ἔστησεν ἡμέραν ἐν ᾗ μέλλει κρίνειν τὴν οἰκουμένην ἐν δικαιοσύνῃ ἐν ἀνδρι ᾧ ὥρισεν, πίστιν
παρασχὼν πᾱσιν ἀναστήσας αὐτὸν ἐκ νεκρῶν. Ἀκούσαντες δὲ ἀνάστασιν νεκρῶν οἱ μὲν ἐχλεύαζον
οἱ δὲ εἶπαν Ἀκουσόμεθά σου περὶ τούτου καὶ πάλιν.
(Actes 17 : 18-20 ; 30-32)
‘’Quelques philosophes épicuriens et stoïciens se mirent à parler avec lui. Les uns disaient « Que
veut dire ce discoureur ? » D’autres, parce qu’il annonçait Jésus et la résurrection, disaient : « Il
semble qu’il annonce des divinités étrangères. ».
Alors ils l’attrapèrent et le conduisirent à l’Aréopage en disant : « Pourrions-nous savoir quel est ce
nouvel enseignement que tu apportes ? En effet, tu nous fais entendre des choses étranges. Nous
voudrions donc savoir ce que cela veut dire ». (…) « Sans tenir compte des temps d’ignorance, Dieu
annonce maintenant à tous les êtres humains, partout où ils se trouvent, qu’ils doivent changer
d’attitude, parce qu’il a fixé un jour où il jugera le monde avec justice par l’homme qu’il a désigné. Il
en a donné à tous une preuve certaine en le ressuscitant. » Lorsqu’ils entendirent parler de
résurrection des morts, les uns se moquèrent et les autres dirent : « Nous t’entendrons là-dessus une
autre fois. » ‘’ (Bible, trad. Segond 21)
On a vu que l’intrigue des Euménides est consacrée au jugement d’Oreste par
l’Aréopage, tribunal qui, lors de la représentation de la pièce en 458 av. J-C, était l’objet de violentes
polémiques. On sait qu'Éphialte, homme d’état athénien, auteur de grandes réformes
démocratiques, avait contribué à l’abolition des privilèges ancestraux de cette institution en 462,
mesure visiblement soutenue par Eschyle.
Or, sur la place de ce même tribunal de l’Aréopage, presque 550 ans plus tard, Paul vient
annoncer à son tour un jugement, mais de toute autre envergure : le jugement du monde (de
l’οἰκουμένη) par Dieu, lequel a pour mandataire Jésus ressuscité :
μέλλει κρίνειν τὴν οἰκουμένην ἐν δικαιοσύνῃ...
Il tente en outre, par son discours, de donner du poids à la notion d’ἀνάστασις,de
« résurrection », à cet endroit même où le dieu Apollon, mis en scène par Eschyle dans le contexte
du jugement d’Oreste à l’Aréopage, avait nié de manière explicite toute éventualité d’un
« relèvement » des morts.
On notera d’ailleurs la réaction plutôt défavorable des Stoïciens et Epicuriens face au discours de
Paul sur cette question de l’ἀνάστασις νεκρῶν, telle que conçue par le christianisme naissant et qui,
pour des interlocuteurs philosophes, s’avérait quelque chose de totalement hermétique.
Jean-Claude DUTTO , 24 février 2017
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