• ΑΝΑΣΤΑΣΙΣ : RESURRECTION


    Amateurs de grec classique et/ou néotestamentaire, auriez-vous cru qu’un rapprochement était
    envisageable entre, d’une part, la
    tragédie grecque, plus précisément la pièce d’Eschyle intitulée
    «
    Les Euménides » (458 av. J-C), et, d’autre part, le fameux discours prononcé par Paul de Tarse, dit
    Saint-Paul, apôtre de Jésus-Christ, sur la colline de l’
    Aréopage d’Athènes, tel que le rapporte le 17ème chapitre des Actes des Apôtres (80-90 de notre ère) ?


    Esquissons d’abord un bref rappel de l’intrigue de la pièce d’Eschyle :


    Après une longue errance, Oreste, poursuivi par les Érinyes, très antiques divinités, filles de la
    Nuit, dont la vocation est de pourchasser sans relâche les meurtriers, parvient au sanctuaire
    d'Apollon à Delphes pour se purifier de son crime (un oracle dicté par Zeus à Apollon a en effet
    poussé Oreste à assassiner sa mère Clytemnestre, elle-même coupable du meurtre de son époux
    Agamemnon). Mais les Érinyes ne cessent pas pour autant de le harceler. Apollon tente d'intercéder
    en faveur d’Oreste mais, très vite, il s'emporte contre les Érinyes et l'entretien tourne court. Apollon
    conseille alors à Oreste de se présenter au temple de la déesse Pallas Athéna, à Athènes.


    Celle-ci obtient que les Érinyes lui confient l'affaire. Elle instaure un tribunal (l'Aréopage) pour
    juger Oreste et annonce qu'en cas d'égalité des voix du jury de part et d’autre, elle lui offrira son
    propre suffrage. Le tribunal athénien donne sa sentence. Le nombre de voix est effectivement
    identique des deux côtés, mais en vertu de la règle proclamée par la déesse, Oreste est acquitté.
    Athéna parvient toutefois à apaiser la colère des Érinyes déboutées, en les instituant « Semnai », les
    « Vénérables », et « Euménides », déesses « Bienveillantes » d'Athènes. La malédiction qui pesait sur
    les Atrides (les descendants d’Atrée, dont Oreste fait partie) est ainsi levée.


    La notion de vengeance, typique des temps de barbarie, est donc remplacée par celle, plus
    civilisée, de justice civique. Les Érinyes abandonnent leur fureur, qui n'a plus de raison d'être, la loi
    du talion ayant fait place à une justice plus sereine dictée par la raison.


    C’est dans ce contexte juridique précis qu’Eschyle, aux
    vers 647 à 649 de sa pièce, fait prononcer
    à Apollon, défenseur de l’accusé, un principe qui nie clairement la possibilité d’une «
    anastasis »,
    d’un « relèvement » ou « résurrection », alors que vient d’être évoquée par le dieu la mort violente
    d’Agamemnon, père d’Oreste :


    « Ἄνδρὸς δ' ἐπειδἁν αἷμ' ἀνασπάσῃ κόνις


    ἃπαξ θανόντος, οὔτις ἐστ'
    ἀνάστασις.


    Τούτων ἐπῳδὰς οὐκ ἐποίησεν πατὴρ


    oὑμός ...
    
    Mais lorsque la poussière a bu le sang d’un homme,
    S’il est mort, il n’est plus pour lui de
    résurrection
    Mon père (Zeus) contre ce mal n’a point créé de charmes
    … »


    (Trad. Mazon coll. Belles Lettres)


    Ces vers font donc clairement apparaître le
    caractère irréversible de la mort des humains, contre
    lequel le souverain divin, Zeus, père d’Apollon, n’a lui-même aucun remède possible, aucune
    ἐπῳδή
    incantation, charme ou formule magique.


    Or, plusieurs siècles plus tard, sur cette même colline de l’
    Aréopage (et ce n’est certainement
    pas un hasard !), que vient donc annoncer Paul de Tarse, dans le cadre de ses discussions avec les
    philosophes épicuriens et stoïciens ?


    Examinons de plus près le texte d’Actes 17 :

    
    Τινὲς δὲ καὶ τῶν Ἐπικουρείων καὶ Στοικῶν φιλοσόφων συνέβαλλον αὐτῷ καὶ τινες ἔλεγον Τί ἂν
    θέλοι ὁ σπερμολόγος οὗτος λέγειν; οἱ δὲ Ξένων δαιμονίων δοκεῖ καταγγελεὺς εἶναι ὅτι τὸν Ἰησοῦν
    καὶ τὴν ἀνάστασιν εὐηγγελιζέτο. Έπιλαβόμενοι τε αὐτοῦ ἐπὶ τὸν Ἄρειον Πάγον ἤγαγον λέγοντες
    Δυνάνεθα γνῶναι τίς ἡ καινὴ αὕτη ἡ ὑπὸ σοῦ λαλουμένη διδαχή; ξενίζοντα γάρ τινα εἰσφέρεις εἰς
    τὰς ἀκοὰς ἡμῶν. Βουλόμεθα οὖν γνῶναι τίνα θέλει ταῦτα εἶναι (…) Τοὺς μέν οὖν χρόνους τῆς
    ἀγνοίας ὑπεριδὼν ὁ θεὸς τὰ νῦν παραγγέλλει τοῖς ἀνθρώποις πάντας πανταχοῦ μετανοεῖν, καθότι
    ἔστησεν ἡμέραν ἐν ᾗ μέλλει κρίνειν τὴν οἰκουμένην ἐν δικαιοσύνῃ ἐν ἀνδρι ᾧ ὥρισεν, πίστιν
    παρασχὼν πᾱσιν ἀναστήσας αὐτὸν ἐκ νεκρῶν. Ἀκούσαντες δὲ ἀνάστασιν νεκρῶν οἱ μὲν ἐχλεύαζον
    οἱ δὲ εἶπαν Ἀκουσόμεθά σου περὶ τούτου καὶ πάλιν.
    (Actes 17 : 18-20 ; 30-32)


    ‘’Quelques philosophes épicuriens et stoïciens se mirent à parler avec lui. Les uns disaient « Que
    veut dire ce discoureur ? » D’autres, parce qu’il annonçait Jésus et la
    résurrection
    , disaient : « Il
    semble qu’il annonce des divinités étrangères. ».


    Alors ils l’attrapèrent et le conduisirent à l’
    Aréopage
    en disant : « Pourrions-nous savoir quel est ce
    nouvel enseignement que tu apportes ? En effet, tu nous fais entendre des choses étranges. Nous
    voudrions donc savoir ce que cela veut dire ». (…) « Sans tenir compte des temps d’ignorance, Dieu
    annonce maintenant à tous les êtres humains, partout où ils se trouvent, qu’ils doivent changer
    d’attitude, parce qu’il a fixé un jour où il
    jugera
    le monde avec justice par l’homme qu’il a désigné. Il
    en a donné à tous une preuve certaine en le
    ressuscitant
    . » Lorsqu’ils entendirent parler de
    résurrection des morts
    , les uns se moquèrent et les autres dirent : « Nous t’entendrons là-dessus une
    autre fois.
    » ‘’ (Bible, trad. Segond 21)


    On a vu que l’intrigue des Euménides est consacrée au jugement d’Oreste par
    l’
    Aréopage, tribunal qui, lors de la représentation de la pièce en 458 av. J-C, était l’objet de violentes
    polémiques. On sait qu'Éphialte, homme d’état athénien, auteur de grandes réformes
    démocratiques, avait contribué à l’abolition des privilèges ancestraux de cette institution en 462,
    mesure visiblement soutenue par Eschyle.


    Or, sur la place de ce même tribunal de l’Aréopage, presque 550 ans plus tard, Paul vient
    annoncer à son tour un
    jugement, mais de toute autre envergure : le jugement du monde (de
    l’οἰκουμένη) par Dieu, lequel a pour mandataire Jésus
    ressuscité :


    μέλλει κρίνειν τὴν οἰκουμένην ἐν δικαιοσύνῃ...


    Il tente en outre, par son discours, de donner du poids à la notion d’
    ἀνάστασις,de
    « résurrection », à cet endroit même où le dieu Apollon, mis en scène par Eschyle dans le contexte
    du jugement d’Oreste à l’Aréopage, avait nié de manière explicite toute éventualité d’un
    « relèvement » des morts.


    On notera d’ailleurs la réaction plutôt défavorable des Stoïciens et Epicuriens face au discours de
    Paul sur cette question de l’
    ἀνάστασις νεκρῶν, telle que conçue par le christianisme naissant et qui,
    pour des interlocuteurs philosophes, s’avérait quelque chose de totalement hermétique.


                                                                                                     Jean-Claude DUTTO , 24 février 2017

     

     


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique