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Par EOGA le 12 Décembre 2016 à 13:12
L'amour de la vie et de la lumière
L'amour de la vie, pour les Grecs, c'est avant tout l'amour de la lumière. Comme l'écrit Charles
Mugler dans son article "La lumière et la vision dans la poésie grecque", pour les Grecs, "l'élément
vital n'était pas l'air, mais la lumière. Mourir, ce n'était pas cesser de respirer, mais cesser de voir
la lumière."
Cette expression de leur amour pour la vie et le soleil, nous vous proposons de la redécouvrir ici
à travers quelques textes épiques et tragiques.
"Vivre et voir la lumière du soleil"
Cette expression, qui combine l'idée de vie et de vision de la lumière, se retrouve fréquemment dans
l'épopée. Ci-dessous deux exemples choisis pour leur beauté :
* Dans l'Odyssée, Chant κ, Ulysse conte aux Phéaciens le désespoir qui a été le sien
lorsque Circé lui annonça qu'avant de rentrer à Ithaque, il devrait tout d'abord descendre aux Enfers :
ὣς ἔφατ', αὐτὰρ ἐμοί γε κατεκλάσθη φίλον ἦτορ·
κλαῖον δ' ἐν λεχέεσσι καθήμενος, οὐδέ νύ μοι κῆρ
ἤθελ' ἔτι ζώειν καὶ ὁρᾶν φάος ἠελίοιο.
αὐτὰρ ἐπεὶ κλαίων τε κυλινδόμενός τε κορέσθην,
καὶ τότε δή μιν ἔπεσσιν ἀμειβόμενος προσέειπον
Odyssée, Chant κ, vers 495 à 499
"Ainsi parla-t-elle, et mon souffle en fut brisé. Je
restai sur le lit à pleurer; découragé, je ne voulais
plus vivre et voir la lumière du soleil. Mais quand
à force de pleurer, de me rouler sur le lit, je fus
enfin rassasié de larmes, je lui répondis en ces
termes : ..."
Médéric DUFOUR - Jeanne RAISON, Homère, L'Odyssée. Paris, Garnier, 1961
* Dans l'Iliade, Thétis, au chant Σ (v. 55 à 62), après avoir relaté la croissance de son fils
Achille (semblable à une jeune pousse), regrette qu'il soit dans l'affliction, lui qui pourtant vit et voit
la lumière du soleil :
ἥ τ' ἐπεὶ ἂρ τέκον υἱὸν ἀμύμονά τε κρατερόν τε
ἔξοχον ἡρώων· ὃ δ' ἀνέδραμεν ἔρνεϊ ἶσος·
τὸν μὲν ἐγὼ θρέψασα φυτὸν ὣς γουνῷ ἀλωῆς
νηυσὶν ἐπιπροέηκα κορωνίσιν Ἴλιον εἴσω
Τρωσὶ μαχησόμενον· τὸν δ' οὐχ ὑποδέξομαι αὖτις
οἴκαδε νοστήσαντα δόμον Πηλήϊον εἴσω. 60
ὄφρα δέ μοι ζώει καὶ ὁρᾷ φάος ἠελίοιο
ἄχνυται, οὐδέ τί οἱ δύναμαι χραισμῆσαι ἰοῦσα.Après avoir enfanté un fils irréprochable et
fort, supérieur aux héros (il a poussé pareil à
un jeune arbre), l'ayant nourri comme un jeune
plant dans un verger à flanc de coteau, je l'ai,
sur des vaisseaux recourbés, envoyé à Ilion
combattre les Troyens. Ce fils, je ne le
recevrai pas, je ne le verrai pas revenir chez
lui dans la maison de Pélée ; et, pendant que je
l'ai, qu'il vit, et voit la lumière du soleil, il est
affligé, et je ne peux en rien le secourir par ma
présence.
Eugène LASSERRE, Homère, Iliade. Paris, Classiques Garnier, 1955.
Mourir, c'est quitter la lumière
Cette idée est mise en valeur dans les tragédies. En voici deux exemples, tirés d'Hécube
d'Euripide et d'Antigone de Sophocle :
* Hécube, Euripide : Au moment où elle doit mourir, Polyxène regrette dans sa dernière
discussion avec sa mère de voir pour la dernière fois les rayons et le disque du soleil, vers 408 à 413 :
* Dans l'Antigone de Sophocle, la condamnation à mort de l'héroïne la prive du "droit" de
voir la lumière du soleil, vers 877.
Ἀντιγόνη
ἄκλαυτος, ἄφιλος, ἀνυμέναιος ταλαίφρων ἄγομαι
τὰν πυμάταν ὁδόν. οὐκέτι μοι τόδε
λαμπάδος ἱερὸν ὄμμα
θέμις ὁρᾶν ταλαίνᾳ. 880
τὸν δ᾽ ἐμὸν πότμον ἀδάκρυτον
οὐδεὶς φίλων στενάζει.Donc les pleurs, l'amitié ni les chants d'hyménée
sur mon dernier chemin ne m'auront fait escorte,
et plus jamais ne s'ouvrira
pour moi cet oeil sacré du jour!
Telle est ma loi, infortunée :
sur mes malheurs pas une larme, pas un soupir ami !Robert PIGNARRE, Théâtre de Sophocle. Paris, Classiques Garnier, t. I, 1947
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